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Indiens Mapuches Le cri de la terre

Harcelé par la police, peu soutenu par le gouvernement chilien, ce peuple autochtone lutte pour récupérer les territoires où prospèrent les multinationales.

De notre correspondante à Santiago du Chili CLAIRE MARTIN

QUOTIDIEN: lundi 24 mars 2008

Au centre du Chili, dans le petit bourg d'Ercilla, aucun panneau ne l'indique mais tous savent où trouver Temucuicui. Jusqu'aux quotidiens nationaux qui ont consacré leur une à cette communauté indienne, à 600 km au sud de la capitale Santiago. Les 500 Mapuches qui y vivent sont en première ligne du combat pour la récupération de leurs « terres ancestrales» .

Quelques kilomètres avant les humbles maisonnettes qui bordent le chemin, un véhicule des forces spéciales de carabiniers (l'équivalent des CRS) trahit la constante surveillance policière. Chaque jour voit son lot de contrôles d'identité, quand ce ne sont pas les perquisitions à la recherche de «terroristes» indigènes . Devant les premières maisons de bois et de tôle, picorent une poule et ses poussins, sans se soucier du chien assoupi sous le marronnier de la cour. C'est là que vivent plusieurs des frères Huenchullan, en lutte comme leurs pères et grands-pères avant eux. Jorge, 28 ans, l'aîné des six frères, est werken, porte-parole de la communauté : « Mapu-che signifie "peuple de la terre". Sans sa terre, le Mapuche n'est rien, il meurt spirituellement et culturellement. La machi [chaman guérisseuse] ne peut plus trouver les plantes médicinales et cérémonielles. Le lonko [chef de la communauté] ne peut plus exercer son pouvoir politique. Récupérer nos terres, c'est reconstruire notre peuple, notre territoire sacré, notre pouvoir économique.»

Pendant cinq ans, les 120 familles de Temucuicui ont joué à la mouche du coche avec la seconde entreprise de bois du pays, Mininco. Les Indiens coupaient les arbres de ci, de là pour les revendre, cultivaient la terre, faisaient paître leurs animaux, étaient même accusés d'allumer des incendies dans les plantations de pins et d'eucalyptus. Jusqu'à ce que Mininco, lassée, finisse par revendre cette parcelle de 1 600 hectares à la Corporation nationale de développement indigène (Conadi), qui l'a restituée à ses anciens propriétaires mapuches.

Sols acidifiés par les pins

«Grâce à cet espace regagné par la lutte , se félicite Rodrigo Huenchullan, 26 ans, nos familles peuvent avoir plus de bétail et vivre mieux.» Cependant, la terre récupérée est encore incultivable. Les sols ont été acidifiés par les pins. «On arrache les plantations exotiques pour laisser repousser les espèces locales, et la nature reprend peu à peu le dessus.» Pour gagner leur vie, beaucoup de jeunes sont obligés d'émigrer vers le nord durant les mois de cueillette de fruits. Et le manque de terre a déjà poussé certains vers les périphéries pauvres des villes. Plus de 50 % des Mapuches (1) seraient citadins.

Selon un sondage de 2002, 28 % des Indiens vivent sous le seuil de pauvreté. Temucuicui ne fait pas exception. Dans la maison contiguë à celle de Rodrigo, son frère Jaime vit avec sa femme Griselda et leurs deux enfants Mankilef, 3 ans, et Wanglen («Etoile de l'aube»), 4 ans. S'il y a l'électricité et l'eau courante, une cuisinière à bois et une télé, les portes se résument à un tissu passé dans une ficelle détendue et les toilettes sont dehors. Ils n'ont pas de voiture. Le bourg le plus proche, Ercilla, est à une heure de marche. Des conditions de vie difficiles dans une région où il pleut plus de la moitié de l'année, et où les températures peuvent tomber à moins 5 en hiver. «Jaime est tellement souvent en prison ou recherché qu'il ne peut pas cultiver. Parfois, on n'a pas de quoi manger.» Comme son mari, une quinzaine d'hommes de Temucuicui sont poursuivis par la justice.

Après avoir récupéré la parcelle de Mininco, la communauté vise les terres qu'elle estime usurpées par un grand propriétaire agricole, René Urban. Ce descendant d'émigrés suisses a vu sa maison, quelques-uns de ses champs et des véhicules brûler en 2002. Il accuse également les Mapuches d'avoir égorgé ou volé plusieurs de ses vaches. Cet homme influent, qui garde un portrait de Pinochet dans son salon, est à l'origine de la plupart des plaintes contre des habitants de Temucuicui. Se disant menacé de mort, René Urban a obtenu la protection de plus d'une centaine de policiers pour le défendre, lui, sa famille et ses terres. «Je ne vois pas ce que veulent ces gens, tonne l'imposant septuagénaire. Quand ils ont des terres, ils ne les cultivent même pas. Je n'ai pas l'intention de partir. Cette terre, je la tiens de mes aïeux.» Ses grands-parents sont arrivés au début du XX e  siècle. D'autres, déjà au Chili, leur en avaient conté les merveilles.

«Ignorants, paresseux et alcooliques»

«Tous ces colons ont bénéficié de terres prises aux Mapuche s, remarque Fabien Le Bonniec, doctorant en anthropologie à l'Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris. Jusqu'au milieu du XIX e  siècle, le territoire des Mapuches est indépendant. Il recouvre 5 millions d'hectares au sud d'une frontière tracée par le fleuve Bio Bio et au nord du fleuve Tolten. Après la «Pacification de l'Araucanie» (1861-1883), douce appellation de ce qui fut une guerre d'annexion sanguinaire, l'Etat chilien les réduit à vivre sur 500 000 hectares, dans des réserves. Sur les plaines fertiles de cette région, «le Chili veut faire son grenier à céréales, explique Fabien Le Bonniec. A l'époque, et c'est malheureusement encore souvent le cas, on considère le Mapuche comme un paresseux, ignorant et alcoolique. On incite donc les Européens à venir cultiver au Chili.» Dans les capitales européennes s'ouvrent des bureaux de colonisation offrant des «terres vierges» . Une famille européenne peut se voir offrir 150 hectares quand une famille mapuche se retrouve avec 3 hectares, souvent peu fertiles.

Sur certains murets de Temucuicui, on peut encore lire «Votez Rodrigo Huenchullan pour les municipales». Traces d'un passé où la communauté croyait encore à la politique. «Nous avons tout essayé pour faire valoir nos droits , insiste Rodrigo. Mais la discrimination est trop forte.» Les Indiens n'attendent pas grand-chose de la Conadi, qui leur a pourtant déjà restitué plus de 100 000 hectares. Cet organisme est né en 1993 avec la loi indigène, censée protéger les terres et ressources naturelles des peuples autochtones. Mais son budget n'est évidemment pas à la hauteur des revendications territoriales des Mapuches.

Quant à la loi indigène, souligne le maire de Tirua, Adolfo Millabur, l'un des rares élus indiens, elle est d'une portée très limitée, car «toutes les autres lois, celles sur la pêche, la mine, l'électricité notamment, prévalent sur ce texte !» Résultat, le territoire mapuche continue d'être grignoté légalement par les entreprises hydroélectriques, touristiques et les multinationales du bois, comme c'est le cas depuis la libéralisation économique entamée sous la dictature de Pinochet (1973-1990).

«Je croyais qu'avec la présidente Michelle Bachelet tout allait changer», soupire Carolina Huenucoy, une Mapuche vivant à Puerto Eden, dans la région des fjords à la pointe sud du pays. Elle, qui a fait partie des comités de campagne de la candidate socialiste élue en mars 2006, se dit très déçue. Arrivée à mi-mandat, la présidente socialiste n'a toujours pas tenu sa première promesse aux Indiens : réviser la Constitution pour reconnaître le caractère multiethnique de la population chilienne.

Son équipe n'a pas non plus mis fin à la politique répressive menée sous les gouvernements précédents. Le Chili a été épinglé à plusieurs reprises pour sa «criminalisation» de la protestation des Mapuches. Tout au plus Michelle Bachelet s'est-elle engagée, sous la pression internationale, à ne plus appliquer la loi antiterroriste qui, en 2002, a valu dix ans de prison à six leaders indiens.

Au total, les Mapuches ont une quinzaine de «prisonniers politiques» derrière les barreaux. Le rapporteur spécial de l'ONU sur les droits des peuples autochtones, les associations Amnesty International, Human Rights Watch et la Fédération internationale des droits de l'homme ont demandé à plusieurs reprises la révision de leurs procès. En vain. Et les poursuites pour délits ordinaires se multiplient. De même que continue le harcèlement policier.

«J'élève mes enfants avec les forces spéciales des carabiniers, se désespère Griselda Calhueque. Ils débarquent constamment sans mandat de perquisition, à 5 heures du matin, donnent des coups dans la porte, cassent les vitres, retournent les matelas, nous mettent dehors avec les petits dans le froid. Si je proteste, je reçois des coups de crosse. Pour eux, nous ne sommes pas des personnes, seulement de sales Indiens.» Depuis peu, l'épouse de Jaime amène ses enfants chez le psychologue à Ercilla. «Ils ne veulent plus jouer seuls dans la cour, explique-t-elle . Dès qu'ils entendent un bruit d'hélicoptère ou une voiture, ils se cachent, terrifiés. Ils ont peur que la police vienne arrêter leur père.» Jaime est poursuivi pour six délits à cause d'un incendie, en 2006, sur la propriété de René Urban. Il refuse de se rendre et d'attendre son procès en détention préventive. Lui et son frère Rodrigo ont choisi la clandestinité, car ils ne croient pas à la justice chilienne. «Face à un René Urban, la parole d'un Mapuche ne vaut rien, tranche Jaime. Nous avons réuni des preuves que deux des quatre accusés se trouvaient à plus de 600 km ce jour-là. La cour ne les a même pas prises en compte.»

Grève de la faim

Les frères Huenchullan sont d'autant plus amers qu'on ne donne pas suite à leurs plaintes pour violences policières. Jaime porte les cicatrices sur le torse d'impacts de balles, Omar, son jeune frère, a été touché au genou. Une femme de plus de 70 ans a eu la jambe traversée d'une balle. Récemment, un enfant de 12 ans a reçu plusieurs impacts. Aucun policier n'a été poursuivi. Le conflit est encore monté d'un cran, avec la mort, le 3 janvier, d'un étudiant mapuche de 22 ans, Matias Catrileo, tué par la police d'une balle dans le dos. Signe d'une détermination à toute épreuve, Patricia Troncoso, la militante la plus célèbre de la cause indigène, a tenu 112 jours en grève de la faim afin d'arracher un assouplissement de ses conditions de détention. Depuis la mi-mars, cette femme de 39 ans, condamnée à dix ans de prison pour «incendie terroriste», bénéficie d'un droit de sortie le week-end .

Dans cette lutte pied à pied, le pouvoir fait désormais mine de jeter du lest. Fin janvier, la présidente Bachelet a ainsi désigné un «commissaire aux affaires indigènes», chargé de lui soumettre un plan de sortie du «conflit mapuche». Le 5 mars, après dix-huit ans d'atermoiements, le Parlement chilien a en outre ratifié la Convention 169 de l'Organisation internationale du travail, qui reconnaît des droits collectifs aux peuples autochtones. Signe de cette nouvelle bonne volonté, le ministre de l'Intérieur Edmundo Pérez Yoma a déclaré la semaine passée que l'Etat devait honorer «la dette contractée envers les peuples indigènes». Mais les Mapuches se battent depuis trop longtemps pour le croire sur parole.

(1) Les Mapuches sont estimés à un million de personnes, sur une population de 16 millions de Chiliens, et représentent 85 % des huit peuples autochtones du pays. On trouve aussi des Mapuches en Argentine.

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Source: Liberation.fr (Un site de Libération Network)

 

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