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Flor Rayen Calfunao et Relmutray Cadin

La Suisse examine la demande de refuge politique des mapuches

Par Reynaldo Mariqueo* - Vendredi 23 janvier, 2009

Le 21 Janvier dernier, Flor Rayén Calfunao et sa nièce Remultray Cadin, âgée de 10 ans, ont été convoquées par l'Office des Réfugiés de Vallorbe en Suisse, afin de vérifier leurs identités et autres données nécessaires pour obtenir l’asile politique dans ce pays. La démarche a commencé le 10 septembre 2008, suite au voyage de Flor Calfunao au Chili, avec l’intention de ramener sa nièce à Genève ; ceci, en raison de l'emprisonnement politique par les services de sécurité chiliens des parents et des frères de l’enfant.

Installée illégalement en Suisse depuis 1996, Flor Rayén Calfunao s'activait à dénoncer la violation des Droits Humains subie par sa Communauté appartenant à l'ethnie mapuche du Chili. Reconnue par cette activité transparente et efficace, elle fut honoré par le Prix "Femme exilée, femme engagée"(sic) en mars 2008, récompense remise publiquement par le Maire de Genève, M. Patrice MUGNY.

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L'image montre Flor Rayén Calfunao et l’enfant Remultray Cadin.

Photo: archivo MIL.  

Les injustices subies par la Communauté mapuche, et tout particulièrement la famille de Flor Calfunao, découle des violations des droits humains -tant individuels que collectifs- commises par les autorités chiliennes. Face à ces violations, les membres de la communauté mapuche ont utilisé comme instrument légitime de pression la protestation pacifique, reconnue comme droit fondamental par la  Constitution Politique de la République du Chili. A travers ces manifestations, les mapuches tentent de faire entendre leurs voix, dont la réponse par les autorités chiliennes s’est traduite par la criminalisation de leur action.

La demande d’asile politique de Flor Calfunao repose sur des preuves irréfutables de violation des Droits Humains subies par les membres de sa famille, incluant notamment des actes d'intimidation, de menaces, de répression physique et psychologique exercées par les grands propriétaires fonciers et la police militarisée chilienne elle-même. L’action de la police est soutenue par des procédés judiciaires à la charge des Tribunaux Militaires qui se basent sur des lois répressives, promulguées sous la Dictature de Pinochet, à savoir la Loi de Sécurité Intérieure de l'Etat et la Loi Anti-Terroriste, appliquées à l’heure actuelle exclusivement à l’encontre des Mapuches.

La présente requête de refuge politique est soutenue par un nombre important d'organisations de Droits Humains, qui basent leur soutien sur les enquêtes et les condamnations émises ces dernières années par les plus importantes organisations spécialisées sur ce sujet au niveau international. Parmi ces organisations figurent la Croix Rouge Internationale, l'Organisation Mondiale contre la Torture, la Fédération Internationale des Droits Humains, Human Rights Watch, et Amnesty International. Ces derniers ainsi que le Rapporteur Spécial de l'ONU sur les affaires indigènes, ont émis des rapports et des recommandations et ont exprimé leur préoccupation au Gouvernement chilien concernant la répression injustifiée contre le peuple mapuche.

La Suisse a une longue tradition historique dans la promotion des droits humains et des libertés fondamentales au niveau international, notamment par l’existence de précédents dans l’octroi de l’asile politique des citoyens chiliens durant l’actuel système démocratique du Chili. La Confédération Helvétique a en effet accordé l’asile politique à Patricio Ortiz Montenegro: il a été démontré qu'au Chili la torture est employée et que le demandeur d’asile ne disposait donc pas de garantie d’un jugement équitable ni de conditions de sécurité acceptables sous les gouvernements démocratiques de l'après-Pinochet. La torture est une pratique amplement utilisée au Chili, en particulier à l’encontre des mapuches qui en meurent, comme ce fut le cas de Johnny Cariqueo, mort d'un infarctus cardiaque le 31 mars 2008, suite à des traitements brutaux commis par les carabiniers des forces spéciales du 26° Commissariat de Pudahuel à Santiago. La Commission Ethique contre la Torture dénonça que le jeune homme avait été interpellé et amené au Poste lors de la manifestation du 29 mars.

Persecussion Politique contre les membres de la Communaute Mapuche

La Communauté "Juan Paillalef" est située dans la IX Région du Chili de l’Araucanie (territoire ancestral du peuple mapuche), et elle est menée par la Lonko (chef traditionnel) Juana Calfunao Paillalef. Les autorités chiliennes ne reconnaissent pas dans la pratique la diversité culturelle existente dans le pays, niant aux mapuches le droit "à être différents, à se considérer et être considérés comme tels". Cela implique que leur culture, leur organisation sociale et le statut d’autorité mapuche des lonkos ne sont pas reconnus. La Communauté Juan Paillalef est guidée par ses propres valeurs culturelles, incluant le système d’organisation social inhérent à la culture mapuche. 

La lonko Juana Calfunao et sa soeur Luisa ont été arrêtées en novembre 2006 et placées dans la Prison pour Femmes de Temuco où Juana y est encore, tandis que sa soeur Luisa est placée sous mesures préventives, consistant notamment à se présenter au commissariat le plus proche tous les dimanches. Actuellement, Luisa suit un traitement psychologique en raison des traumatismes causés par la répression policière dont elle a été témoin et victime depuis son enfance. Son état psychique s’est davantage détérioré suite aux mauvais traitements carcéraux subis et aux traumatismes dont souffre aujourd’hui toute sa famille.

L’époux de la lonko Calfunao, Antonio Cadin et leur fils Jorge, sont détenus à la Prison de Temuco. Ce dernier fut temporairement remis en liberté, avant d’être renvoyé en prison le 24 juin 2008, suite à un coup monté par la police. D’autre part, Waikilaf, un autre fils de la lonko Calfunao, fut arrêté à Temuco, où il y subit des tortures physiques par le personnel de la Gendarmerie. Il fut ensuite envoyé à la Prison de Haute Sécurité de Santiago, qui l’a finalement remis en liberté le 29 décembre 2007.Depuis, il a été arrêté à deux occasions, la dernière ayant eu lieu le 2 janvier 2009. La mère de la lonko Juana Calfunao, Mercedes Paillalef, et son autre fille, Carolina, se trouvent quant à elles astreintes à des mesures préventives, qui les empêchent de rendre visite à leur famille détenue ainsi qu’à se déplacer à l’intérieur du pays.

Mercedes Paillalef craint qu’à n’importe quel moment le reste de sa famille puisse être détenu et accusé d’enfreindre la loi, sous de faux témoignages, qui permettront alors de les soumettre à des montages judiciaires. Cette pratique abusive a déjà été utilisée contre eux ainsi qu’à l’encontre d’autres communautés qui réclament leurs droits.

Il faut remarquer que la maison de la lonko Juana Calfunao a été incendiée à trois reprises. L’un de ces attentats coûta la vie à son oncle, Basilio Coñoenao. Dans un autre incident similaire, l’enfant Ramultray fut sauvé des flammes in extremis grâce à l’intervention d’un voisin.

Il est nécessaire de souligner que la Communauté Juan Paillalef a été perquisitionnée par la police à plusieurs reprises, presque toujours sans autorisation judiciaire. La lonko Juana Calfunao et sa famille ont souffert de la brutalité policière de manière réitérée et en présence des enfants de la Communauté. La lonko Calfunao a été détenue arbitrairement et a été torturé par la police. En une occasion particulière, les autorités judiciaires chiliennes ont même du désigné un avocat afin d’établir l’origine des hématomes et des coupures apparemment faites au poinçon qu’elle présentait sur le corps et le visage, et ce après que celles-ci furent filmées par les journalistes, à la sortie d’une enceinte carcérale.

Il reste encore à élucider l’avortement que la lonko Calfunao a subie pendant sa détention en juin 2000 au 2ème Commissariat de Temuco, résultant des tortures qu’elle subit aux mains de la police militarisée, qui l’accusa de «maltraitance envers des carabiniers en service»…Tous ces antécédents ont été amplement diffusés par des organisations de droits humains nationales et internationales et par les médias.

Dans ce contexte familial, avec ce climat d’incertitude, de répression et de vulnérabilité, vivait l’enfant Relmutray, qui était restée sous la garde de sa sœur Carolina, cette dernière risquant d’être arrêtée à n’importe quel moment.

Si Flor Rayén Calfunao était retournée au Chili, elle se serait elle aussi intégrée à la lutte pour la défense des droits de sa Communauté, en augmentant alors-à côté de ses sœurs Juana et Luisa- la longue liste de prisonniers politiques mapuches. Elle n’a jamais régularisé son séjour en Suisse car attendait avec anxiété le jour de son retour vers sa terre natale ; mais la paix de sa communauté n’est jamais arrivée.

Les mapuches et les Organisations de Droits Humains espèrent que la Suisse puisse comprendre la situation de Flor Rayén Calfunao et de sa nièce, en leur permettant de vivre dans un contexte de paix, de sécurité et de stabilité, où la fille Remultray puisse grandir et jouir des droits énoncés par la Convention des Droits de l’Enfant et d’autres législations internationales à caractère humanitaire.  

Nous pensons que la répression subie par les membres de la Communauté Juan Paillalef, qui a forcé Flor Rayén Calfunao et Remultray à solliciter l’asile politique en Suisse, remplit les conditions prévues dans la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le Statut des Réfugiés et dans la « Déclaration sur la Protection de Toutes les Personnes contre la Torture et  Autres Traitements ou Peines Cruels, Inhumains ou Dégradants » du 9 décembre 1975 (Résolution N°345/XXX/Assemblée Générale).

Finalement, il faut noter que le Gouvernement Chilien ne reconnait pas la lutte pour la justice, la culture, le territoire et la libre détermination des mapuches, en tant que lutte politique pour la reconnaissance de ses droits humains et de ses libertés fondamentales. Ceci implique également qu’il ne reconnait pas le statut de prisonniers politiques des activistes mapuches. Cependant, il a été reconnu à Mercedes Paillalef l’exonération politique pour la lutte qu’elle a livrée en faveur du peuple mapuche durant la dictature sous Pinochet. Aujourd’hui, curieusement, en «démocratie», pour cette même lutte, elle est cataloguée comme délinquante de droit commun.

(*) Par Reynaldo Mariqueo, werkén mapuche (messager, envoyé spécial)

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Traduit par Deborah Sanigou.

 

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