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Education Chilienne et négation de l'histoire Mapuche

Elsa Pépin - Crest le 25 Mars 2002

Chercheur en Sciences de l'Education
Présidente de l'association LA LICORNE EL UNICORNIO et de l'Association Huilliwerken
Praticienne en Histoires de vie Collectives et individuelles.

Rencontres des jeunesses Mapuches d'Europe
Rouen France - Avril 2002

Avant toute chose je tiens à remercier Rafael Railaf et Jeremia Levinao de m'avoir fait l'honneur de me proposer d'intervenir devant vous aujourd'hui. Je tiens aussi à dire combien je suis attachée au Chili et à tous les mapuches qui m'ont accompagnée durant les dix ans de lutte que j'ai partagé avec eux, enfin à préciser que si je me suis engagée à soutenir la lutte du peuple Mapuche c'est parce qu'elle me parait aujourd'hui une des dernières alternatives possibles pour que le Chili retrouve un jour, enfin sa liberté, sa mémoire, sa créativité et son identité.

Le bref exposé qui va suivre a pour objectif principal de témoigner d'une dizaine d'années passées aux cotés de Mapuches des communautés des zones de Lautaro, du Bio Bio et d'Osorno.
Je suis arrivée au Chili en 1992, suite à un engagement sur le très long terme aux cotés des chiliens exilés réfugiés en France. Des Mapuches je ne savais pas grand chose jusqu'en 1992, où des mouvements de soutien au peuple Mapuche ont commencé à voir le jour en France. Au cours des dix dernières années, j'ai partagé, pendant de longs mois, le quotidien de familles Mapuches des zones de Temuco, Tiruà, Osorno et j'ai aussi, par trois fois, séjourné dans l'Alto Bio Bio, ce qui m'a permis de rencontrer les soeurs Quiltraman entre autres, mais aussi de partager les luttes des Mapuches et d'en vivre la répression féroce mise en place par le gouvernement chilien. Grâce à des amis Mapuches j'ai partagé des réalités quotidiennes, cela m'a permit de découvrir la grande richesse de leur culture, d'apprendre l'humilité et une relation à la terre et à la nature qui a profondément changé ma vie. Mon point de vue n'a jamais été celui d'une anthropologue ou d'une ethnologue mais celui d'une militante engagée dans des luttes qui me paraissaient dignes et justes. Du Chili je connais aussi la réalité des bidonvilles du nord, des prisonniers politiques, de la misère et d'une répression constante, oppressante et insidieuse. C'est de ce vécu que je témoigne. Enfin, si je me suis intéressée aux problèmes d'éducation c'est parce que je suis chercheur en Sciences de l'éducation et que ma spécialisation professionnelle m'a donnée l'opportunité de comparer et d'analyser cette problématique d'une manière plus scientifique et plus professionnelle.

L'étude que j'ai réalisé sur l'éducation au Chili remonte à 1998 et a été réalisée dans la région d'Osorno où résident des Mapuches Huilliches. Depuis 1998, les chiffres n'ont guère changé et si il y a eu quelques modifications elles iraient plutôt vers un renforcement des statistiques de pauvreté plutôt que vers une amélioration.

I Contexte de l'étude et quelques chiffres officiels :

Dans la zone d'Osorno selon les chiffres officiels du gouvernement Chilien, plus de 80% de la population rurale est Mapuche huilliche ou d'origine Mapuche, les vingt pour cent restant sont des descendants d'Allemands et ils gèrent d'énormes domaines agricoles qui sont spécialisés dans les productions laitières.
En allant d'Osorno vers la côte et sur une bande d'une cinquantaine de kilomètres de large, qui s'étend de Valdivia jusqu'à Puerto Montt, les terres sont encore couvertes d'une foret primaire intacte composée d'arbres remarquables et sacrés pour les mapuches comme les Alerces, le Canelo, le Laurel et de nombreuses plantes médicinales. Cette bande côtière jusqu'alors en partie préservée est gravement menacée par l'arrivée de la route à grande circulation qui doit relier Concepcion à Puerto Montt.
La zone rurale d'Osorno et la région des lacs sont encore peuplées de nombreuses communautés Mapuches Huilliches, leurs principales activités sont l'exploitation raisonnée de la forêt, l'agriculture et un peu de pêche. Du fait des nombreuses expropriations réalisées avant et pendant la dictature beaucoup de familles Mapuches se sont exilées vers Osorno et habitent les zones périphériques dans des bidonvilles autour d'Osorno, dans les quartiers de V Centenario, Alday, Rahue Bajo et Rahue Alto.

Sur la commune d'Osorno la population totale est 127 679 personnes alors que la population rurale s'élève à 114 230 personnes.

Au cours de notre travail, un premier élément statistique nous a attiré l'attention en cela qu'il parle de lui même. Nous avons comparé le nombre d'enfants scolarisés à l'école primaire à celui des élèves qui ont poursuivi en secondaire ainsi que ceux qui sont arrivés jusqu'à l'entrée à l'université.

Pour Osorno sur 63 863 scolarisés en primaire un peu plus de la moitié continue en secondaire et seulement 9477 enfants passent à l'enseignement supérieur, tandis que 5744 enfants sont répertoriés sans éducation.

Sur trois grandes communes rurales à forte densité de population Mapuche de la zone Osornine Puerto Octay, Purranque et Rio Negro les chiffres sont les suivants :

Puerto Octay
Entrée en éducation primaire 1649
Entrée en secondaire 214
Taux de désertion de la scolarité : 1435 soit 14 % d'enfants qui s'inscrivent en secondaire

Purranque
Entrées en éducation primaire : 3204
Entrées en secondaire : 899
Taux de désertion de la scolarité : 2505 soit 23 % d'enfants qui s'inscrivent en secondaire

Rio Negro zone à forte population Mapuche
Entrées en éducation primaire : 3279
Entrées en secondaire : 643
Taux de désertion de la scolarité : 2636 soit 26 % d'enfants qui s'inscrivent en secondaire

Ces trois chiffres, qui ne sont pas différents pour les autres zones comme Pucatrihue ou San Juan de la Costa, font apparaîtrent que 25 % au maximum des enfants Mapuches de zone rurale poursuivent leur scolarité en fin d'école primaire.
Sur ces 25 % seulement 2 à 3% des enfants Mapuches accéderont à un niveau d'études supérieures.

Les raisons de ces désertions massives de l'accès à l'éducation ont des causes matérielles, économiques et culturelles.

II Causes matérielles et économiques :

Beaucoup de Mapuches vivent dans des zones rurales qui sont éloignées des centres urbains. Ces zones souvent reliées par des pistes en terre qui sont coupées du reste du monde pendant les mois d'hiver en raison des inondations. Les services de transports en commun sont relativement rares (une à deux fois par jour , voire moins) et très chers pour des familles à revenus extrêmement modestes.
Les bus n'accèdent pas aux communautés et par exemple à Maicolpue il y a plus d'une demie heure de marche, en pleine montagne, et pour aller de la communauté de Tril Tril au terminal de bus situé sur le port il faut compter une heure, et de là une demie heure de bus pour rejoindre l'école primaire la plus proche.

Aucune des municipalités concernées n'a mis en place un système de ramassage scolaire en 4X4 qui permettrait aux enfants d'accéder à des heures raisonnables aux centres scolaires. La seule solution est donc soit des départs et retours de nuit sur des chemins escarpés et dangereux, soit des mises en internat, ou encore une fréquentation en pointillé de l'école, les jours où il fait beau, par exemple.
Le système Chilien est un système ultra néo libéral et les internats sont les plus souvent religieux et payants. Les écoles d'état offrent aux enfants des conditions matérielles précaires au niveau du confort de base, chauffage inexistant, douches aléatoires etc...
L'accès à l'école c'est aussi la prise en charge des frais de scolarité, achats de matériel scolaire, uniformes, cartables, frais de bus, inscriptions...

Pour accéder à l'école primaire un enfant Mapuche doit pouvoir payer environ 20 000 pesos en moyenne par trimestre alors que le revenu de nombreuses familles rurales ne dépasse pas, le plus souvent, 150 000 à 200 000 pesos trimestriels. Si l'on multiplie ces frais fixes par trois ou quatre enfants en âge de scolarité il devient évident que la scolarisation au Chili est réservée aux riches.

Sur la zone d'Osorno on compte 407 habitants scolarisables pour une école mais la majorité des écoles publiques sont concentrées dans les agglomérations, d'où une école pour 500 à 600 enfants.

Selon le très officiel rapport de la Comision de superacion de la pobreza réalisé par le gouvernement Chilien, 1,1% des enfants de familles où les parents n'ont pas été scolarisés plus d'un an arrivent à avoir une éducation scolaire de plus de 15 ans, et au niveau national 2,2 % des jeunes des familles les plus pauvres du Chili terminent leur scolarité au niveau de l'école primaire.

Pour terminer avec ces quelques chiffres nous signalerons, toujours selon le rapport de la comision de superacion de la pobreza, que la 8ème région compte 18,5% de sa population en dessous du seuil de pauvreté, la neuvième région 6,7 % et la dixième 8,2% soit un total de 33,4 % de personnes vivant à la limite de l'indigence dans les trois régions à forte concentration de population Mapuche. Ces chiffres ne prennent pas en compte les 20,9% de la population chilienne classée comme indigente.

Dans la région de Lautaro, les communautés Mapuches vivent aux flancs de la cordillère des Andes et doivent elles aussi effectuer des voyages longs et coûteux pour se scolariser. Le passage à l'enseignement secondaire signifie pour le plus grand nombre un exil vers Temuco.

Vu la qualité médiocre de l'enseignement public au Chili, professeurs sous payés, aucune formation de base à la pédagogie, les seules écoles qui pourraient permettent un accès à des études de bon niveau sont les institutions religieuses, elles sont payantes et par définition ne prennent pas en compte les spécificités de la culture Mapuche. Les instituts privés, quant à eux, sont hors de prix et de ce fait inaccessibles. Reste les lycées professionnels, eux aussi, concentrés dans les villes, beaucoup d'enfants Mapuches sont dirigés vers ces établissements qui préparent à des carrières de mécanique ou d'agriculture. Des bourses sont allouées aux élèves qui souhaitent poursuivre leurs études vers des brevets de techniciens. Elles sont dérisoires et couvrent rarement les frais engagés et jamais l'absence d'un adolescent qui ne travaille pas au sein d'une famille en situation économique très précaire.

Enfin ceux, qui à force de persévérance et de sacrifices obtiennent des diplômes de bon niveau comme : agronomes, éleveurs, spécialistes de production laitières, horticulteurs ou technicien forestiers par exemple, ne sont qu'exceptionnellement engagés au sein des organismes publics, moins encore au sein des multinationales du sud du Chili.

III Causes culturelles :

L'éducation Chilienne ne prend et n'a jamais pris en compte les spécificités culturelles des enfants Mapuches. Tout le monde étant par définition chilien pour le gouvernement chilien, il est dès lors sans intérêt de s'adapter à plus de 10% de la population nationale, même si, dans le sud le pourcentage des Mapuches avoisine parfois les 60% de la population en âge de scolarité.

Les Mapuches rythment leur vie sur la relation avec la nature et perpétuent des traditions communautaires ancestrales. Les rythmes scolaires Chiliens calqués sur le modèle européen imposent aux enfants Mapuches une rupture permanente avec la cosmovision et les traditions ancestrales du peuple Mapuche.

Je ne citerai qu'un exemple qui illustre bien mon propos, en période de récoltes beaucoup de communautés travaillent ensemble, la place des enfants est donc auprès de celles-ci, pourtant aucune école chilienne n'adapte ses programmes à cette réalité évidente.
Elle ne manque, par contre jamais, d'adapter les journées d'école aux fêtes nationales patriotiques ou chrétiennes. Les enfants mapuches sont ainsi libres de célébrer le Noël chrétien ou la rédemption de Marie, le 11 septembre considéré jusqu'à 1998 comme jour national d'allégresse ou le 18 septembre jour de la fête nationale chilienne qui célèbre pour les mapuches le début du génocide de tout leur peuple par l'état chilien .

Cet endoctrinement sournois va plus loin puisque dans les écoles publiques des cours de catéchisme sont donnés. Les enfants Mapuches sont contraints d'y participer et ce n'est que sur l'intervention insistante des parents qu'ils peuvent en être dispensés. Bien souvent, ce refus déclenche des interrogations de la part des enseignants pour qui la religion Mapuche est complètement ignorée ou fortement rejetée et une des conséquences peut en être une mise à la marge des enfants mapuches pour cette singularité entre guillemets.

Cette imprégnation des religions dominantes sur l'éducation Chilienne va parfois extrêmement loin. Ainsi, dans la zone de Tiruà, nous avons rencontré un couple de Mormons qui dirige une école primaire publique en internat, où tous les enfants sont mapuches, et soumet les enfants des communautés environnantes à un endoctrinement douteux.

Les mormons comme chacun sait sont très présents au Chili tout comme les évangélistes. Ce couple que nous avons interviewé nous a ainsi expliqué sa conception de l'éducation des Mapuches, mélange subtil de racisme primaire et de paternalisme. Il utilise pour ses cours des ouvrages conçu aux états unis par les Mormons et ne cache sa conception très particulière de la vie quotidienne qu'il souhaite transmettre aux enfants qui sont sous sa responsabilité afin "qu'ils retrouvent leur identité" (sic). Le coup d'état a démontré les liens étroits qui existent entre les services d'intelligence et ces sectes qui ont pignon sur rue au Chili et l'on peut se demander l'objectif exact ce type de pratiques éducatives dans des zones en lutte du territoire Mapuche.

De la même manière aucune place n'est faite dans les programmes éducatifs chiliens aux particularités de la culture Mapuche, la cosmovision qui est une des spécificités de la culture indienne est totalement passée sous silence, et l'enseignement de l'histoire présente aux enfants mapuches une image dégradante et raciste de leur peuple.

IV Falsification de l'histoire

Les livres scolaires d'histoire au Chili brillent par deux spécificités, le dénie et la falsification. De la même manière que le coup d'état de 1973 est présenté, non pas comme une boucherie fasciste et sanguinaire, mais comme une régularisation nécessaire d'une situation chaotique, le génocide chilien sur le peuple Mapuche est encore aujourd'hui présenté comme la fameuse pacification de la Araucanie. Pacification réalisée par de valeureux Chiliens civilisés contre une bande de sauvages guerriers.

Ces mêmes sauvages guerriers sont pourtant encensés quand l'histoire chilienne s'en refaire à la résistance aux espagnols et quelques héros emblématiques sont soudain valorisés comme Lautaro ou Caupolican. Mais les quelques pages qui retracent l'histoire des Mapuches dans les livres scolaires présentent des dessins de rucas, travaux des champs et terminent parlant des Mapuches comme d'un peuple de paresseux, voleurs et alcooliques, d'ailleurs aujourd'hui disparu dont il est possible de retrouver les traces dans les musées nationaux de Santiago ou Témuco.

Le sentiment nationaliste qui prime sur la culture Chilienne se retrouve dans les chapitres consacrés aux répartition de terres. La partition du Chili avec les frontières argentines n'est jamais mise en exergue comme une fracture à l'intérieur du territoire Mapuche mais comme une perte pour l'état chilien d'une partie de ces terres. Le même phénomène est d'ailleurs aussi valable pour ce qui concerne le territoire aymara du nord du Chili.
La CONADI et le gouvernement de Frei avaient fait de l'éducation une priorité. Dans les faits cette priorité n'a jamais pu être observée. S'il est vrai que quelques expériences d'enseignement bi lingue se sont développées dans le sud du Chili, trop souvent les enseignants du mapudugun étaient chiliens et il manquait à ces expériences la prise en compte de toute une culture.

Le mapudugun est une langue conceptuelle et ne peut donc être résumée à une simple traduction littérale. Jamais le gouvernement n'a envisagé de faire venir dans les écoles des Machis ou des Lonkos pour qu'ils transmettent directement non seulement la langue mais aussi sa contextualisation. Si l'enseignement du Mapudugun est redevenu d'actualité c'est grâce aux communautés en lutte qui se sont données les moyens de cette récupération de leur identité. De la même manière l'histoire ne raconte pas aux enfants les extraordinaires contes Mapuches ou les traditions millénaires de médecine par les plantes, pas plus les bases qu'elle n'explique les bases sociales du peuple Mapuche ou sa spiritualité, elle n'intègre ainsi jamais à ses programmes une réelle revalorisation de la culture Mapuche.

Cette ségrégation au quotidien, cette négation de l'histoire et des richesses des peuples originaires du Chili sont argumentées par un nationalisme chilien qui voudrait une nation une et indivisible, conception toute théorique d'un nationalisme chilien triomphant puisque dans le même temps elle brade aux multinationales européennes et nord américaines tous les territoires et richesses du Chili. Dans le même temps le gouvernement chilien n'hésite pas dans ses programmes d'histoire à s'étendre longuement sur les influences européennes qui ont peuplées le Chili, sur l'histoire des écrivains français, toutes choses qui, si elles sont intéressantes ne font certes pas partie intégrante de la société nation chilienne.

Le nationalisme pilier du régime chilien actuel

La négation de l'existence du peuple Mapuche qui s'exerce au quotidien dès l'entrée en scolarité s'apparente à un conditionnement qui n'est pas sans influence au sein même des communautés.

Les enfants se retrouvent pris entre une histoire officielle complètement falsifiée et une histoire authentique transmise dans les communautés par les anciens. Encore faut-il que les familles vivent un lien réel avec les communautés pour que cette contre histoire puisse se dire. Et pour les Mapuches urbains ce n'est pas évident, d'où des risques importants d'acculturation.

Les familles Mapuches chassées de leurs terres se retrouvent dans des bidonvilles où le taux de délinquance est élevé, où la lutte pour le pain quotidien est une préoccupation constante et où l'attirance d'une société entièrement basée sur la consommation est omniprésente et produit des inégalités sociales et des injustices permanentes. Les adolescents mapuches urbains, comme tous les adolescents ont du mal à se situer entre modernité et ce que la société et l'éducation chilienne leur désignent comme obscurantisme, pratiques de sauvages et société d'un autre monde. Arrivés à l'adolescence beaucoup d'enfants mapuches refusent de parler leur langue en public, ainsi de générations en générations se perdent des millénaires de l'histoire de tout un peuple.

Etre Mapuche ce n'est pas seulement avoir la peau plus foncée ou vivre à la campagne, c'est un autre rapport au monde, et aux autres. C'est considérer l'homme comme un des éléments constituant l'univers et non pas comme son entité centrale, c'est respecter la terre, c'est s'engager et se battre. Cette société Mapuche qui place au plus haut rang des communautés et des divinités des femmes, qui fonctionne sur une organisation sociale horizontale, qui pense que hors système communautaire rien ne peut se faire, dérange profondément l'état chilien.

Et si les mapuches dérangent l'état chilien ce n'est pas seulement parce qu'ils luttent pour récupérer leurs terres, mais parce que face à une société chilienne pauvre qui refuse l'impunité et ne se contente pas d'un néo libéralisme triomphant, une société meurtrie par 25 ans de dictature et dix de démocrature qui se cherche et tente de relever la tête, ils pourraient bien, ces mapuches, constituer une alternative qui bouleverseraient tout le système chilien actuel.

Il importe donc aux gouvernements qui se succèdent depuis 1973 de tuer dans l'oeuf toute rencontre entre mapuches et non mapuches, d'enseigner la peur de l'autre, de favoriser ce rejet "del indio." Et pour cela, il n'est meilleure stratégie que de commencer dans l'enfance.

Prendre le risque d'expliquer ce qu'a été la constitution de l'état chilien, dire le génocide et les exactions, dénoncer les usurpations de terres, parler de la résistance Mapuche au régime de Pinochet c'est risquer des solidarités que le gouvernement ne souhaite pas.
Il est donc bien plus confortable de stigmatiser le peuple Mapuche comme une ethnie de sauvages en voie de disparition, refusant le progrès et cherchant à chasser hors du sud du Chili les pauvres chiliens qui y vivent, ou encore de les traiter de dangereux terroristes renouant ainsi, avec des arguments trop longtemps entendu au Chili depuis l'avènement de la dictature.

Si l'histoire Chilienne enseignée dans les écoles était authentique elle dirait que les terres du sud du Bio Bio jusqu'à Chiloé sont des terres mapuches, et que ces territoires ont été reconnus par les espagnols comme terres du peuple Mapuche et non pas comme les terres du peuple Chilien. Qu'elles constituent entre 70 et 80% des richesses du Chili et que les latifundistes, les colons puis les multinationales se sont appropriés ces biens par la force et la contrainte.

Elle dirait aussi, que pendant la pacification de l'Araucanie des milliers de mapuches ont été déplacées vers Santiago, puis vers le nord pour faire tourner les industries et les mines dont les revenus partaient pour l'Europe et les Etats Unis. Que les femmes Mapuches ont été déplacées pour servir de bonnes aux riches familles de la démocratie chilienne, et qu'elles sont aujourd'hui, encore, surexploitées dans les quartiers chics de Santiago ou de Viña del mar. Que tous ces Mapuches ont été partie intégrante de l'histoire du Chili, dans la constitution des premiers syndicats en Amérique Latine, dans les révoltes de mineurs, par leur participation à la réforme agraire d'Allende, qu'ils ont participé à la construction de ce Chili moderne dont le gouvernement est si fier.

Mais l'histoire officielle ne dit rien de tout ça et pour avoir accès à ces informations il faut arriver à un niveau d'études permettant de lire l'histoire du peuple Mapuche de Bengoa ou aller traîner les musées régionaux en insistant lourdement pour avoir accès aux archives concernant les Mapuches.

Quand j'ai tenté cette élémentaire recherche de documentation je ne m'imaginais pas que ce serait aussi complexe. Il faut donc, être éduqué, en avoir les moyens économiques, comprendre les complexités institutionnelles, et dieu sait si au Chili il y en a, avoir été formés pour pouvoir accéder à ces temples du savoir qui ne sont accessibles qu'à des élites triées sur le volet. Et comme si cela n'était pas suffisant il faut aussi, monter pattes blanches au niveau vestimentaire, présenter des références universitaires, et disons le clairement pour nombre d'institutions au Chili avoir le teint plutôt clair, si ce n'est pas indispensable, ça aide beaucoup.

Une fois tous ces barrages franchis on vous remettra, peut être, quelques documents sur les mapuches mais en vous regardant bizarrement et en me manquant de vous faire remarquer "qu'il n'y a pas grand chose sur les mapuches dans la zone d'Osorno (80% de l'actuelle population de la zone), mais que par contre tout l'historique de la colonisation allemande est à votre disposition". Et si vous avez encore la force de demander des renseignements supplémentaires sur les Kunko qui peuplaient la zone de Maicolpue, vous vous heurterez à un abîme de perplexité voir de ricanements.

Si l'histoire enseignée dans les écoles était authentique, elle dirait enfin, qu'on ne bâti pas une nation et un état sur le mensonge et une histoire falsifiée. Elle reconnaîtrait que nombre de chiliens qui se revendiquent haut et fort "chiliens pur sang" ont dans leurs veines du sang indien, et que ce métissage n'a pas toujours été le résultat d'histoires d'amour romantiques mais plutôt de viols et d'enlèvements. Enfin bref, elle dirait la vérité, ce qui n'est pas une denrée très répandue au Chili depuis le 11 septembre 1973.

En falsifiant l'histoire et en transformant le système éducatif en système de conditionnement l'état chilien prend le risque important de voir, un jour, la société chilienne se fractionner en deux blocs. Il prend aussi et par conséquent le risque que ses enfants lui demandent des comptes et que ces comptes ne leurs conviennent pas. Il crée aussi par son dénie une société schizophrénique qui oscille en permanence entre la reconnaissance des mapuches comme de farouches guerriers et leur rejet en tant qu'indiens, en entretenant la peur comme il le fait il transforme le Chili en un de ces nombreux pays qui valorisent les comportements racistes qui font le lit du fascisme.

Je ne sais pas si les Mapuches sont des terroristes mais je sais que le gouvernement chilien exerce au travers de l'éducation un terrorisme d'état en niant son histoire, sa culture et ses origines, qu'il conditionne ainsi l'ensemble du peuple Mapuche à la soumission et à l'acceptation de son rejet en développant dans la société chilienne des réactions profondément racistes, qu'il remet en place pour les Mapuches des lois anti terroristes issues d'une dictature fasciste et que face à ce terrorisme là il n'y qu'une seule réponse c'est la mobilisation du peuple Mapuche pour sa vie, le respect de sa culture et de ses traditions, l'acceptation de sa différence et de ses droits. Et cette lutte là se doit d'être gagnée parce qu'il en va de l'avenir du Chili et à plus long terme de l'avenir d'une partie de la planète.

Conclusion

J'espère que ce bref exposé vous aura permit de comprendre l'importance de l'établissement d'un système scolaire alternatif au chili, non seulement pour les mapuches, mais pour l'ensemble des enfants des bidonvilles. Un système scolaire qui ne soit plus aux mains des religieux de tous poils, ou d'un état vendu aux multinationales et qui entretient le racisme et la haine de l'autre.

Pour que les Mapuches puissent un jour reprendre en mains les rennes de leurs vies et offrir au Chili un autre modèle que celui qui est en place depuis la création de l'état chilien, il est de première importance que tous aient accès à une scolarité digne de ce nom, qu'ils puissent faire des études de haut niveau, qu'ils puissent transmettre et enseigner à leurs enfants une histoire dont ils ne peuvent être qu'orgueilleux. Il importe que les Mapuches se réapproprient un système éducatif qui leur soit propre et qui prenne en compte leur histoire, leurs traditions, leur culture, leur religion et leur identité spécifique. Et peut être que cette affirmation de leur identité en tant que peuple originaire du Chili pourrait avoir comme effet secondaire de permettre au peuple chilien de s'en construire une qui soit authentique et revendiquable.

Les communautés, les Machis, les Lonkos et les Werkens, la nature et la terre, eux, se chargeront de toujours, rappeler aux Mapuches d'où ils viennent et qui ils sont, afin qu'ils ne trahissent pas leurs origines.

Fuentes de documentacion :

-La pobreza en Chile : un desafio de equidad y integration social Consejo Nacional para la superacion de la pobreza Santiago de Chile Agosto 1996
-Historia del pueblo Mapuche Jose Bengoa Ediciones Sur 1987
-Estadisticas de escolaridad gobernacion de Osorno y ministerio de la educacion X Région de sur de Chile.

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