En Argentine, Benetton s'installe sur les terres ancestrales des Mapuches. Remous.


Terres communes et "enclos propriétaires"

 

Par  FRANCO CARLINI   

Paru le Jeudi 22 Juillet 2004

 L'usage commun des terres, c'est-à-dire détenues par un privé mais exploitées à des fins publiques, est-il possible? Le droit international offre en ce sens des voies à explorer. Et une nouvelle idée fait son chemin dans le débat qui est né autour de la question des Mapuches, délogés de leurs terres par Benetton en Argentine: il s'agirait de conférer aux représentants des populations le statut de «stakeholders», c'est-à-dire de titulaires d'intérêts, sur les terres qu'ils ont toujours habitées.

Le Prix Nobel de la Paix Adolfo Perez Esquivel écrit à Luciano Benetton à propos de la controverse sur les terres de la Patagonie qui ont appartenu aux Mapuches. L'industriel italien du textile répond: «Parlons-en.» Les chanteurs Eros Ramazzotti, Enzo Jannacci et bien d'autres artistes lancent un «appel pour défendre leur créativité» contre les pirates des notes musicales qui sévissent sur Internet. Ce ne sont que deux exemples de l'activité épistolaire foisonnante – et militante – qui se déploie actuellement à travers le monde. Ils ont une caractéristique commune. Au-delà des spécificités liées à chaque cas, le thème est unique: la désignation de la propriété de certains biens communs ( commons en anglais). Et, en corollaire, les modalités d'utilisation et de gestion de ces biens, éventuellement en vue d'un bien-être commun, ou leur réduction à une marchandise destinée à la grande consommation ( commodities ). La lettre que l'Argentin Adolfo Perez Esquivel a fait parvenir à l'entreprise Benetton trouve son origine dans une affaire judiciaire qui a défrayé la chronique et qui s'est conclue, début juin, avec la décision d'un tribunal argentin donnant raison à la Compañía de Tierras , contrôlée par la famille Benetton. Celle-ci avait acquis il y a quelques années environ 900 000 hectares (1 hectare=10 000 m<V> [2] ) de terres en Patagonie. L'industriel transalpin, basé à Trévise, avait entièrement affecté cette surface à l'élevage. Mais, coup de théâtre, il y a quelques mois, 385 000 hectares ont été «occupés» par la famille d'Attilio Curinanco, qui a revendiqué le droit de s'y installer, arguant du fait que ces terres ont été précédemment habitées par les Mapuches, dont il est l'un des représentants. Un tribunal vient donc de nier ce droit, en reconnaissant que les titres de propriété de la famille Benetton sont bel et bien valables.


FIBRE SOCIALE PROCLAMÉE

Au-delà de la question du droit à la propriété, dans sa lettre, M. Perez Esquivel a voulu mettre à l'épreuve la (auto)proclamée sensibilité sociale et environnementale de la famille de Trévise, en la mettant au défi d'agir dans le sens des messages qu'elle véhicule à travers ses campagnes publicitaires, centrées sur l'aide aux défavorisés et aux populations autochtones. Luciano Benetton, patron de l'entreprise homonyme, a répondu à M. Perez Esquivel qu'il était prêt à chercher une solution «équitable». Il a cependant rappelé que «le droit à la propriété représente le fondement même de la société civile», qu'il s'agisse «de propriété physique ou intellectuelle».
Ce faisant, Benetton a mis le doigt sur la question centrale, car il n'est pas du tout vrai que la propriété de terres – ou d'un software, ou d'une musique – constitue le fondement de la société civile, et encore moins un «droit naturel». Certains philosophes ont soutenu cette position, mais il suffit de lire l'«histoire des peuples» pour se rendre compte qu'on nous a laissé en héritage de nombreuses solutions pour résoudre les questions relatives à la «propriété». Et ce ne sont pas forcément des solutions «résiduelles». Bien au contraire, certains modèles «anciens» sont certainement meilleurs que ceux qui sont aujourd'hui considérés comme «modernes».
En l'espèce, il faut savoir qu'en Patagonie, la famille Benetton gère un élevage de brebis voulu et mis sur pied grâce à des investisseurs «socialement responsables». Pourrait-elle faire plus et mieux? Certainement, parce qu'on peut toujours faire plus et mieux, mais à condition d'être disposé à dépenser un peu plus d'argent et à renoncer à une parcelle de pouvoir. Or, tant qu'ils resteront confinés à ce modèle de «capitalisme bénévole» aux relents d'eurocentrisme qu'ils s'obstinent à suivre, il semble difficile que les Benetton parviennent à se placer sur la même longueur d'onde que les Mapuches et le mouvement global en faveur des droits des populations.


L'EXEMPLE DE NEW YORK

Reste que, hormis la revendication de la propriété juridique, d'autres solutions existent, et parmi elles le Property on the outside, Commons on the inside . Concrètement, il s'agit de dresser un «enclos propriétaire» autour de terrains et d'appliquer à l'intérieur une gestion communautaire.
C'est ce qui s'est passé en 1999 à New York , qui est bien plus peuplée que la Patagonie. Le maire de l'époque, Rudolph Giuliani, avait décidé de mettre en vente les Community Gardens, à la fois pour faire rentrer de l'argent frais dans les caisses publiques et pour augmenter la valeur foncière de ces terrains situés en ville. Les jardins en question étaient constitués par une multitude de lotissements – autrefois à l'abandon – appartenant à la Ville, sis à Harlem, Brooklyn et dans le Lower East Side. Bon nombre de citoyens réunis dans le mouvement Green Guerrillas avaient commencé spontanément à transformer ces terrains en jardins.
Malgré les protestations, l'initiative de M. Giuliani était en train d'aboutir. Mais le 12 mai 1999, l'actrice Bette Midler intervenait par le biais de sa fondation éponyme, faisant une offre d'achat collective afin d'acquérir tous les lotissements et d'en préserver l'affectation à l'usage public. L'issue a été favorable à la cause des jardins communaux, mais aussi à la Ville qui, au final, a encaissé un juteux pactole. La construction de nouveaux bâtiments a pu être évitée, et l'autogestion de ces espaces publics s'est poursuivie.


«TITULAIRES D'INTÉRÊTS»

Cela peut paraître paradoxal, mais la leçon que l'on peut tirer de cette histoire est la suivante: dans une société où la propriété et l'argent constituent la mesure de toute chose (ce en quoi semble croire Luciano Benetton), la solution des «enclos propriétaires» s'avère intéressante. Parce qu'avec ce système on peut atteindre aussi d'autres buts: préserver une réserve naturelle, par exemple, en cherchant à récupérer les «savoirs» locaux. On pourrait à cet effet rappeler des personnes qui ont été chassées des latifundiums et qui, aujourd'hui, n'arrivent plus à se reconnaître comme membres d'une communauté du fait qu'ils ont perdu leurs terres d'origine.
Les moyens et les formes juridiques qui permettent de récupérer les terres ancestrales ne manquent pas. Mais d'abord, il faut considérer les «anciens habitants» comme des stakeholders , c'est-à-dire des «titulaires d'intérêts». Des intérêts qui, s'ils ne sont pas formalisés, n'en restent pas moins réels.
L'intervention d'Adolfo Perez Esquivel en faveur des Indiens mapuches pourrait bien trouver une issue favorable. il manifesto
Traduit et adapté par
FABIO LO VERSO

Article repris du Manifesto et traduit par le Courrier : www.lecourrier.ch

 

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Les Couleurs Invisibles de Benetton - 10 Juin 2004

Le peuple Mapuche exclu des "United Colours". L'histoire bref du conflit pour la terre entre le peuple Mapuche et le groupe Benetton.

Benetton n'a pas respecté la demande légal concernant les opérations d'investissement des entreprises européennes á l'égard des pays en voie de développement contenu dans le Code de Conduite de l'Union Européenne (Résolution 15/11/99).

Les avocats defendant le peuple Mapuche ont trouvé des documents légaux qui corroborrent la protestation du peuple Mapuche sur l'occupation arbitraire et illegale de leur territoire par les proprietaires, les sociétés annonymes et de l'Etat d'Argentine.