L’entreprise
Benetton s’est appropriée les terres de la Population
Mapuche.
Reportage par Sebastian Hacher et Pauline Bartolone
Spécial de Corpwatch, le 25 Novembre 2003
En Patagonie, il n’est pas inhabituel de voir les eaux turquoises
des rivières séparées par des grillages. La
chaîne de montagnes dans le sud des Andes aux sommets couverts
de neige qui bordent les frontières de l’Argentine et
du Chili, ou la "Cordillera" comme l’appelle les
gens locaux, est une des plus étonnantes dans le monde. Au
pied des montagnes, s’étend une terre plate pleine de
végétation et de buissons où les moutons et
vaches broutent. L’or et le quartz dans les montagnes de la
province du Sud de Chubut ont récemment attiré les
entreprises minières comme Meridian Gold et maintenant Benetton
pour l’exploitation des vastes plaines, parfaites pour la production
en masse de la laine.
Pour les Indiens Mapuche du sud de l’Argentine, depuis 10
000 ans de bataille pour la terre en Patagonie l’entreprise
de vêtements Benetton est le nouveau Conquistador. Aujourd’hui
Benetton est le plus important détenteur de terre en Argentine,
possédant 900 000 hectares dans la région abondante
de Patagonie. Avec 9% des terres les plus cultivables de Patagonie,
leur possession est 40 fois plus large que la capitale Buenos Aires,
la deuxième ville de l’Amérique Latine.
“Ici, ils ont pris tout ce qu’ils voulaient. C’était
une vallée agréable et pour cette raison ils se la
sont appropriée et l’ont fermée. Ils nous ont
laissé au milieu de pierres dans les champs les plus terribles”dit
un fermier Mapuche, Rogelio Fermin.
Nouvelles colonisation de la Patagonie.
“La Patagonie me donne une impression incroyable de liberté” dit
Carlo Benetton quand il a pris possession du territoire argentin.
En 1997 Benetton a acheté l’entreprise anglaise Compania
Tierras del Sur Argentina S. A. (CORP) pour un total de $50 millions.
Les archives de CORP reconnaissent la présence des gens natifs
dans la région. En échange pour la terre qui a été occupée
par les Mapuche depuis 13 000 ans, Benetton a bâti un musée
dédié á l’histoire et la culture de cette
terre mystique.
Mais l’occupation de la terre Argentinienne par Benetton offre
beaucoup plus qu’un sens de liberté et un musée
sur le passé: les 280 000 moutons de Benetton produisent 6000
tonnes de laine par an, 10% des besoins de la production totale du
plus grand consommateur de laine vierge du monde.
A 200 mètres du Musée Leleque vit une famille Mapuche,
les Curinancos. Atilio Curinancos est né et a passé sa
vie á Leleque mais plus tard s’est déplacé près
d’Esquel. Après avoir souffert durant la crise économique
Argentinienne en Décembre 2001, Atilio et sa femme Rosa ont
décidé de retourner dans les champs et essayer de cultiver
leur nourriture, élever leurs animaux et établir une
micro entreprise.
“Tout a commencé lorsque nous avons proposé de
fonder une entreprise familiale á Santa Rosa” dit Atilio
Cuinanco, 52 ans. “Je connais cette terre depuis que je suis
né et comme j’ai constaté que personne ne l’occupait,
j’ai pensé que ce serait une excellente opportunité.”
Les Curinancos ont approché l’ “Instituto Autarquico
de Colonizacion (IAC), une agence immobilière gérée
par le gouvernement, pour demander l’autorisation d’occuper
une région appelée Santa Rosa située au devant
d’une des propriétés appartenant á Benetton.
Il est bien connu parmi les Mapuche que ce territoire natif est inoccupé et
cela a été confirmé verbalement par IAC. Après
une attente de 8 mois les Curinancos attendaient toujours confirmation.
Finalement, ICA envoya une note á la famille disant: “l’information
que nous avons obtenu démontre que la terre est considérée
comme étant zone commerciale et il est dans notre intérêt
de la réserver pour une micro entreprise.”
La famille Curinancos s’est rendue au commissariat d’Esquel á Chubbut
pour annoncer qu’elle allait prendre possession de Santa Rosa.
Le jour même un groupe de paysans commença á travailler
la terre, avec les ressources limitées qu’ils possèdent,
labourant, plantant des légumes et amenant leurs animaux aux
pâtures.
“Nous n’avons fait de mal a personne lorsque nous sommes
arrivés sur la terre,” dit Atilio Curinancos. “Nous
n’avons pas coupé de barrières, nous ne sommes
pas venus dans la nuit. Nous avons attendu pour voir si quelqu’un
allait venir pour nous faire savoir si nous les importunions ou pour
nous montrer un document démontrant que la terre appartenait á quelqu’un
d’autre mais personne n’est venu.”
Benetton soutient que Santa Rosa lui appartient. Benetton a délivré un
constat disant que la terre ne doit pas être utilisée
pour l’élevage des animaux et a stipulé son intention
de reprendre contrôle de leur propriété. Au bout
de deux mois, la police a désassemblé et saisi les
affaires de la famille Curinancos.
Lorsqu’il a été interrogé a propos de
l’éviction, l’avocat pour Benetton, Mr Martin
Iturboro, a dit que la prise de la terre par la famille Mapuche était
simplement un problème de délinquance.
La terre appartenant á Benetton autour de la propriété de
Santa Rosa reste inoccupée.
Les Curinancos maintiennent qu’ils reprendront possession de la terre
qui leur a été volée et refusent de laisser Benetton changer
leur histoire. “Nous sommes natifs et nous allons nous battre jusqu’a
ce que cette terre nous soit retournée,” dit Atilio.
Menace d’éviction a Leleque
Au delà du chemin poussiéreux de la propriété de
Santa Rosa, la mère d’Atilio Dona Calendaria une femme
de 85 ans doit enjamber la barrière de la propriété de
Benetton pour accéder au seul point d’eau de la région.
La route pour la rivière Chubut est une route locale. Elle
ne devrait pas être fermée,” dit Laura qui a résidé dans
la région depuis 40 ans. Elle raconte comme toute la région
a changé depuis que Benetton a acheté le terrain.
“Benetton a trois portails avec clés et pour les franchir
il faut leur demander la permission, on ne peut pas pêcher
sans permission non plus. Plus loin, il y a quelques familles, mais
elles ne peuvent passer au travers de la propriété de
Benetton. Il faut donc qu’elles la contournent et c’est
un détour de 90 kilomètres.”
Le village de Leleque consiste en 8 familles qui travaillaient pour
l’entreprise de chemins de fer Argentin, transportant de la
laine, du cuir et d’autres marchandises dans la capitale. En
1992, un an après l’achat des terres avoisinantes par
Benetton, la station de transport á Leleque a été fermée. “Leleque était
une ville agréable, mais maintenant, elle ressemble á un
cimetière,” dit Pigeon Llancaqueo, le voisin de Calendaria.
Lorsque le dépôt a été fermé,
l’eau courante pour les familles a été coupée
et la police a cessé de venir dans la région. Le cimetière
local appartenant maintenant á Benetton est situé dans
l’enceinte du Musée Leleque. Sans travail, eau courante
ou terre á cultiver, il ne restait plus aux habitants de Leleque
que l’élevage des animaux pour les aider a survivre.
A la fin septembre 1993, l’état a passé une résolution
interdisant les habitants de Leleque d’avoir des animaux.
En Septembre dernier, les 50 habitants de Leleque, la majorité d’entre
eux des femmes et enfants Mapuche, ont été informés
par l’entreprise de chemins de fer gérée par
l’Etat qu’ils avaient 3 mois pour abandonner leurs maisons
afin de les utiliser pour la construction d’un parc d’attraction
touristique.
Le projet touristique, supporté par la province de Chubut,
comprend l’utilisation des chemins de fer pour des tours guidés
de Patagonie. Bien que les officiels nient que le projet soit lié á l’entreprise
Italienne, l’une des attractions principale offre une visite
de la propriété Benetton. Le slogan officiel du projet
touristique décrit “une aventure véritable á travers
les origines de la région, partant de El Maiten jusqu’à Leleque,
ou les touristes peuvent aussi visiter le Musée Leleque et
savourer un Patagonien assodo (un plat typiquement Argentin) dans
la propriété appartenant á Benetton.
En plus de l’éviction des résidants de Leleque,
l’école pour 18 étudiants va aussi être
fermée. La promesse par l’état de reloger les
expulses n’est pas garantie. “Je n’aime pas le
mot Expulsion,” dit Miguel Mafeo, le porte-parole de Ferrocarril
Provincial del Chubut (l’entreprise provinciale de Chubbut). “Cela
implique que les gens vont se retrouver dans la rue.”
Faisant face à l’expulsion, les résidants de
Leleque ont commencé á s’organiser. Ils ont remarqué que
d’autres communautés ont été intégrées á d’autres
projets commerciaux touristiques incluant certaines gares dans la
région, comme en Nehuelpan. La différence, ils disent,
est que la gare n’est pas entourée de terres appartenant á l’entreprise
Benetton.
“Petit à petit, ils ont fermés les portes de
notre communauté á Leleque. C’est un plan stratégique,” dit
Mauro Millan, un porte parole pour une organisation Mapuche, le 11
Octobre. “Jusqu’à présent, nous étions
sans défense, mais maintenant les Mapuches dans la région
sont sur l’offensive. Nous avons décidé qu’il
n’y aurait plus d’expulsions, que ça vienne de
l’état ou de Benetton.”
Benetton autour du monde.
Le groupe Benetton a été fondé en 1965 par
la famille Benetton dans le Nord de l’Italie qui continue á régir
la majorité de l'entreprise. Non seulement, l'entreprise Benetton
possède des magasins de vêtements dans 120 pays, elle
a aussi des autoroutes, des entreprises de restauration urbaines
et des réseaux de communication en Europe ainsi que des terrains
et de l’agriculture autour du monde. Avec un total de 7 000
magasins et une production annuelle de 100 millions de vêtements,
le revenu moyen annuel de Benetton est de 2 billions d’Euros.
L'entreprise est très connue pour sa publicité controversée,
montrant des victimes du SIDA et des prisonniers attendant d’être
exécutés ainsi que d’autres images poignantes
favorisant responsabilité sociale et culture globale. Mais
l’attitude de Benetton concernant la main-d’oeuvre et
pratique économique offre un contraste stupéfiant a
leur image.
Benetton fut au centre d’un scandale concernant le travail
illégal des enfants en Turquie, lorsque, en 1998, plusieurs
enfants âgés de 11 a 13 ans ont été photographiés
dans l’usine Tekstil á Istanbul, une usine de textiles
confectionnant quelques uns des
produits vendus par les vêtements Benetton. La loi Turque ainsi que la
convention internationale du travail interdit le travail des enfants de moins
de 14 ans. Benetton a suspendu ses opérations avec l’entrepreneur
suivant les révélations faites par l’Union Turque.
Benetton se retrouva en pleine controverse lorsque l'entreprise
Kappa dont une partie lui appartient, proposa une usine de vêtements
au centre de la Palestine occupée dans la fin des années
90. Après une campagne contre leurs plans par des groupes
des Droits de l’Homme, avertissant de la violation des accords
internationaux établis par la 4eme Convention de Genève
regardant les entreprises en Palestine, Kappa éventuellement
abandonna ses plans.
L’année dernière, les Consommateurs Contre l’Invasion
de la Vie Privée et du Numérotage a lancé une
campagne de boycottage contre Benetton pour ses plans d’utiliser
un million de Pastilles d’Identification sur Frequence de Radio
ou (RFIDs) dans le but d’inventorier ses vêtements. Benetton
a abandonné ses plans après que des critiques aient
exprimé leurs soucis que le dispositif placé dans les
vêtements pourrait potentiellement permettre á Benetton
de suivre les mouvements de ses consommateurs.
Sebastian Hacher est un journaliste et photographe Argentin indépendant
qui travaille avec Indy media Argentina.
Pauline Bartolone est une journaliste pour Free Speech Radio News basé en
Argentine.
Traduit par Hélène.
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