Benetton, les droits, les humains et les mineurs.

Par Sebastián Hacher. Buenos Aires, le 18 août 2004.

 

Sommaire : les intérêts miniers cachés de Benetton et ses liens avec les cabinets-conseil qui ont soutenu la dictature. Que se cache t-il derrière le délogement des familles Mapuche ?

Lorsqu'on appelle pour la première fois l'un des bureaux Benetton a Buenos Aires, on sursaute. On pourrait même croire qu'on a fait le mauvais numéro et donc raccrocher immédiatement. La raison est simple, c'est presque un détail ; la personne qui répond au téléphone dans l'entreprise dit placidement “bonjour” sans même présenter, comme on le fait d'habitude, la compagnie dont il s'agit.

Lorsque nous avons fait le test et que nous avons appelé, nous nous sommes posés la question : S'agit-il d'une secrétaire mal élevée ou d'une nouvelle technique de communication élaborée par un cabinet-conseil des Relations publiques ?

La seconde hypothèse s'est avérée être la bonne : cette manière de se présenter, de façon anonyme, fait partie de la stratégie marketing du groupe italien en Argentine. Tout simplement, Benetton n'a pas envie que l'on connaisse les noms des entreprises implantées là-bas.

Cela peut paraître étrange, mais une explication peut être fournie. Depuis quelques mois, une rumeur selon laquelle Benetton a fait l'acquisition d'une compagnie minière circule. Selon cette version, que l'on retrouve sur Internet, la “Minera Sud Argentina SA” aurait vu le jour le 9 mai 2003 avec pour objectif “l'acquisition, la disposition et le transfert des propriétés et des droits miniers. Prospection, exploration, développement, préparation, exploitation, extraction, raffinage de minéraux et de sous-produits”. On dit aussi que le président de cette flamboyante compagnie minière n'est autre que Diego Perazzo, le vice-président de la Compañía de Tierras Sud Argentino SA (CTSA), également propriété de Benetton.

A plusieurs reprises, il a été prouvé que la zone de laquelle on a délogé en octobre 2002 la famille Mapuche Curiñanco-Nahuelquir, était entourée d'au moins une quinzaine de cathètes minières, et qu'il était fort possible que la recherche d'or soit le véritable leitmotiv qui ait poussé au dépouillement de ce couple originaire d'Esquel.

Le renseignement n'est pas anodin, et encore moins si Benetton s'avère être le propriétaire de la compagnie minière. L'extraction d'or à ciel ouvert a été boycottée par une grande partie de la population et particulièrement à Esquel, où l'intention de faire usage de cyanure a généré des mobilisations massives ainsi qu'un plébiscite au cours duquel 85 % des votants se sont prononcés contre cette activité. Les directeurs et les avocats de Benetton en personne se sont opposés à la mine, en essayant de faire passer à la population le profil “progressiste” si cher aux campagnes de publicité de la compagnie.

Cependant, cette version de la compagnie minière n'a été approfondie par aucun journaliste ou presque : étant donné que l'entreprise ne figure dans aucun des annuaires Benetton, qu'elle ne fait pas de publicité et n'a pas d'activités reconnues en tant que telles, on présume qu'elle n'existe pas.

En menant une enquête un peu plus approfondie, le détail des communications téléphoniques vient confirmer ces rumeurs. Si l'on cherche dans l'annuaire, les numéros 4328-4067/4239 figurent au nom de la CTSA, domiciliée à Esmeralda 684 Appartement 3, la même adresse que celle de la Minera Sud Argentina. Ici aussi, lorsqu'on les appelle, ils disent tout simplement “bonjour” sans plus d'explications. Si l'on demande au concierge de l'immeuble ou que l'on appelle n'importe quelle entreprise voisine, en demandant “la compagnie minière”, on vous indique gracieusement ces bureaux.

Nous suivons cette piste et puis nous interrogeons par téléphone la réceptionniste du mystérieux troisième appartement. Le dialogue est insipide mais efficace :

Bonjour (dit invariablement la voix à l'autre bout du fil)

Bonjour, je suis bien en relation avec la Minera Sud Argentina ?

(pause dubitative)... Oui... Que voulez-vous ?

Non, rien, merci.

Un peu plus tard, quelqu'un d'autre a appelé, en demandant Diego Perazzo, directeur de la compagnie minière, vice-président de la CTSA et administrateur des intérêts de Benetton en Argentine. La personne qui a appelé a choisi au hasard et alternativement l'un des trois titres et la réponse s'est toujours avérée positive. Ils étaient bien là ; il fallait juste insister un peu.

Le téléphone est un peu cher pour vous ? Il n'est même pas nécessaire de dépenser son argent pour prouver ce que Benetton tente de cacher. Il suffit pour cela de lire le Bulletin Officiel de la Nation n ° 30150 (section n ° 2, page 4) du 15 mai 2003 où l'on publie l'autorisation n ° 51286 grâce à laquelle la société anonyme "Minera Sud Argentina SA", prend pour domicile les bureaux de Benetton pour une durée de 99 ans. Ici aussi figure le nom de Diego Eduardo Perrazo comme président de l'entreprise.

Droits et êtres humains.

Mais d'où vient cette politique de non-communication ? Paradoxalement, elle a été élaborée par une société de communication. Depuis que le conflit avec le peuple Mapuche a commencé, toutes les techniques de presse du groupe Benetton se sont retrouvées entre les mains de Burson Marsteller (BM), l'une des sociétés de Relations Publiques la plus importante au monde.

S'il s'agit d'une entreprise méconnue du public argentin, sa tradition et son champs d'action sont bien enracinées dans le pays. Cela a commencé en 1978 : à l'époque, ils n'avaient pas encore de bureaux à Buenos Aires et ils ont eu recours au cabinet-conseil pour laver l'image du président d'alors Jorge Rafael Videla. A cette époque, la coupe du monde de football était sur le point de commencer et tandis que dans tout le pays, on torturait et on assassinait à peu près 30 000 personnes, Burson Marsteller mettait en place, à la demande des dictateurs au pouvoir, une campagne publicitaire ayant pour slogan explosif "Nous Argentins, avons des droits et sommes des êtres humains". L'un de ses objectifs était alors de faire taire les revendications des survivants, des exilés, des familles et des victimes qui foisonnaient dans le pays. Pour eux, le cabinet-conseil a également colaboré à la création du Centre Pilote de l'Ambassade d'Argentine à Paris, chargé de combattre ce qu'ils appelaient la "campagne contre l'Argentine".

A l'heure actuelle, en Argentine, Burson Marsteller offre ses services aux filiales locales de Coca-Cola, Kellogg, Kraft Food, Lloyds Bank, L'Oréal, Nextel, Nutricia-Bagó, Pan American Energy, UOL Sinectis, WalMart et une bonne centaine de grandes entreprises. Le cabinet-conseil se présente à eux comme étant chargé de "gérer la relation entre les organismes et leurs différents publics : clients, actionnaires, médias, gouvernement, communautés ou employés", ayant recours à des techniques aussi diverses que variées, pouvant aller de simples campagnes publicitaires à des méthodes peu orthodoxes. Ils se présentent également comme étant des experts en cas de crises, capables de neutraliser des groupes d'activistes et par dessus tout, "d'orienter la façon de penser" du grand public.

Comme cette mission nous le montre, on a eu recours aux services du cabinet-conseil un peu partout dans le monde : de grandes campagnes ont été mises en place dans le seul objectif de manipuler l'opinion publique en cas de désastres écologiques, de grèves, de produits défectueux, de campagnes de boycott, voire même de crises au sein du gouvernement.

Cacher le peuple Mapuche

Dans le cas du conflit avec le peuple Mapuche, la stratégie de Burson Marsteller et de Benetton a évolué au cours du temps, tout en gardant un but bien précis : cacher la vérité.

Tout au début, leur stratégie consistait à nier qu'il s'agissait d'un conflit politique, en essayant de prouver qu'il était plutôt question d'un cas de "délinquance commune" : un peu plus tard, lorsque la lutte des Mapuches a commencé à être dévoilée au grand jour, leur stratégie a quelque peu changée. "Il s'agit d'un groupe d'activistes", a signalé Federico Santor, rédacteur en chef du groupe de presse de Benetton, en se référant à la famille Curiñanco-Nahuelquir. Au même moment, Santor a décrété que la Compañía de Tierras Sud Argentino était "indépendante du groupe Benetton". Et également que les 900 000 hectares de Patagonie "ne faisaient que dix fois la capitale fédérale en taille", "alors qu'un simple écolier sait parfaitement que la seule ville de Buenos Aires fait 20 000 hectares, ce qui fait 45 fois moins que 900 000. Somme toute, cette stratégie était vouée à l'échec, et au moment du procès intenté par eux-mêmes à la famille Curiñanco, Burson Marsteller et Benetton ont radicalement changé de discours. Ils ont alors déclaré qu'ils avaient toujours été ouverts au dialogue, qu'ils ne considéraient pas du tout la famille Mapuche comme des délinquants et que de plus, ils se préparaient à investir pour créer des emplois en Argentine.

Il était temps ! Benetton a beau garder ses quelques 500 hectares, la famille qu'ils ont délogé est devenue un symbole accusateur de par le monde, stigmate que même l'entreprise la plus puissante ne pourrait effacer. Au fur et à mesure du conflit, les différentes actions des experts en Relations publiques et des publicitaires leur a nuit plus qu'autre chose et pendant de nombreuses années, on se rappelera de Benetton comme du grand propriétaire terrien qui a délogé les Mapuche, ce à quoi s'ajoute maintenant leur cupidité concernant la compagnie minière.

Prochain mensonge

Le 13 novembre 2003, par le biais de quatre résolutions différentes, le gouvernement de la province du Chubut a autorisé la CTSA "à l'exploitation d'agrégats à ciel ouvert. Les résolutions allaient de 174 à 177, et pour chacune d'entre elles, on reconnaissait l'exploitation des différentes carrières : Lepa, Esquel Seco, Mayoco et Vuelta del Rio, toutes celles-ci étant situées sur les terres du groupe Benetton.

Concernant l'exploitation d'agrégats, explique Daniel Terron Santos dans la revue Philosophie et Droit , il s'agit de "mines de superficie assez semblables à celles des mines à ciel ouvert, et par conséquent le résultat final de son exploitation n'est autre que la dégradation du paysage, un paysage maintenant désolé caractérisé par de profondes tranchées et fossés. La finalité de ces extractions minières est l'industrie et la construction. Presque aucun type de matériau n'est rejeté, ainsi donc la quasi-totalité de ces matériaux peut être utilisée ou transformée en un type particulier de produit. Le résultat final de ces exploitations est evidemment une excavation de grandes dimensions et donc il n'existera plus aucun type de matériau destiné à recouvrir la cavité ouverte.

L'exploitation d'agrégats est centrée sur l'extraction de galets et de matériaux de construction, mais la grande ressemblance de cette activité avec l'extraction de l'or à ciel ouvert est -pour le moins- suspicieuse. Surtout à Esquel, où des dizaines de gisement d'or et d'argent sont convoitées par des firmes multinationales, ce qui provoque la désapprobation de la population.

Est-ce-que ces carrières, que le gouvernement de Chubut a permis à Benetton d'exploiter seraient en réalité des mines d'or ? Non, ce serait surprenant. A Esquel, la seule façon d'exploiter une mine sans s'attirer les foudres de la population est la clandestinité, et celui qui a déjà menti un millier de fois peut bien le faire une fois de plus.

Bien certainement, maintenant, les consultants en Relations publiques de Benetton se chargeront de détourner l'attention. Comme l'information est à la portée de tout le monde, ils prétenderont que c 'est un pur hasard et que eux n'ont rien à voir là-dedans. Ni avec le délogement de la famille Mapuche, ni avec les mines, ni avec rien d'autre d'ailleurs. Vous pouvez bien trouver les preuves par vous-mêmes : aller consulter le journal officiel, appeler par téléphone ou effectuer une recherche sur Internet. Ou vous pouvez tout simplement croire les Relations publiques de Benetton si vous en avez envie. Si vous choisissez cette deuxième option, vous pouvez répéter en toute confiance : de la main de Videla, Nous Argentins avons des droits et sommes des êtres humains.

Sebastián Hacher
sebastian@riseup.net
http://benetton.linefeed.org/archives/000122.html

Notes (1) en anglais, listing détaillé des activités de BM :

http://www.corporatewatch.org.uk/profiles/burson/burson4.htm . Sur le rôlede Burson Marsteller pendant la dictature, voir "why, what" de Susana Kaiser, Department of Media Studies/Latin America Studies Program. University of San Francisco. Et également, Argentina's Dapper State-Terrorist par Menta Gurvich The Consortium Magazine, 19/08/1998. En espagnol, sur la dictature en Argentine et BM, voir www.hum.gu.se/ibero/publikationer/anales3.4/pdf_antiklar/fuster.pdf , parmi une large liste de sources académiques et historiques. (2) A ce sujet, voir l'écrit de l'avocat de la CTSA en PDF : http://benetton.linefeed.org/iturburu.pdf (3) Voir la lettre de Federico Sartor dans le quotidien Wall Street Italia, en réponse à l'un de nos articles : http://benetton.linefeed.org/archives/000065.htm (en italien) et la réponse à : http://benetton.linefeed.org/archives/000071.htm

 

Traduit par Laetitia

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