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Benetton contre Mapuche :
la question des terres
Par Sebastien Harcher
Ils déclarent qu’ils ont appris une foule de chose
grâce aux oiseaux, aux rivières et au vent. Et encore
plus que nous – étrangers à leur langue- nous
ne comprenons pas les mots, la mélodie qui flattent nos
oreilles pour leur donner raison. Elles sont là, au pied
des montagnes, Doña Celinda et ses amies, toutes aussi âgées
qu’elle –chantant du fond de l’âme, une âme
qui remonte aux pierres, aux arbres et au ciel. La cérémonie commence lorsque les dernières étoiles
de fondent avec la Cordillère. Tout se passe au moment où l’on
regarde vers l’est, attendant ce soleil qui est sur le point
de se coucher et qui sera accueilli les poings levés. Un kulltrum – petit
tambour Mapuche- mène le rythme, tandis que le ñorkin
et la pilfilka font ressentir des sons fermes mais doux et humides,
comme les battements de coeur du monde.
Les femmes chantent en Mapudungun, la langue de la terre, et on
a la sensation qu’il existe une continuité, une sorte
de complicité harmonique –difficile à percevoir
et à raconter- entre leurs voix, le son des instruments et
les montagnes qui nous entourent, encore chargées d’une
brume épaisse qui bientôt descendra sur nous.
Elles sont Mapuche ; les gens de la terre. Et Mapuche, ce simple
mot qui les désigne comme peuple, signifie qu’elles
ne sont pas propriétaires mais appartiennent purement et simplement à cette
terre sur laquelle elles marchent. Dans leur “cosmovision”,
qui est la langue dans laquelle ils chantent, la nature qui les entoure
et même leur propre existence sont des manifestations distinctes
d’une même réalité.
Lors du procès de Benetton contre le couple Mapuche Curinanco-Nahuelquir,
le premier rang de la salle était occupé par ces mêmes
vieilles dames que, le tour précédent, nous avions
entendu chanté au crépuscule. Pour elles, il ne s’agissait
pas d’un simple jugement contre deux de leurs frères,
mais bien plutôt de savoir si, par le biais de ce jugement,
on reconnaît que la branche appartient à l’arbre
ou si la beige a la permission de venir se poser sur la cime des
montagnes et de réfléchir les rayons du soleil.
On se dispute un lopin de terre.
Benetton, qui est actuellement le principal propriétaire
foncier du pays, a fait sienne une province entourée de grillages.
Il s’agit de 900 000 hectares, 630 000 dans la province de
Chubut, qui comprend des plaines, des montagnes et des rivières.
Le pré revendiqué, que l’on appelle Santa Rosa,
mesure un peu plus de 500 hectares, il se trouve au bord de la route
nationale 40 et face à la ferme Leleque, une des principales
fermes du groupe italien en Argentine.
Jusqu’à présent sont arrivés en 2002,
Atilio Curiñanco et Rosa Nahuelquir, leur objectif étant
de monter une entreprise familiale leur permettant de retrouver leurs
terres. Ils y ont cultivé des fruits, des légumes,
y ont construit une petite maison et même un canal d’irrigation,
se servant comme unique ressource de l’indemnisation que Rosa
avait touché lorsqu’elle s’était fait licenciée
d’une entreprise textile en faillite.
Pour les nouveaux occupants de cette zone, y compris Atilio Curiñanco
en personne, il s'agissait d’un pré qui avait été laissé à l’abandon
depuis toujours, sauf lorsque la famille Mapuche, nommée Tureo,
s’y était installée.
Le témoin Courtenay, ancien employé de la CTSA, a
expliqué que cette zone avait toujours été connue
comme étant une réserve, et que l’unique utilisation
que l’on en a faite de temps à autre, a été d’y
mettre les chevaux, appelés “marca pobre” des
peones qui s’approchaient de la ferme pour y chercher du travail.
C’est également ce qu’a plus ou moins affirmé Don
Nahuelquir, employé de l’entreprise pendant les trente
dernières années et témoin chef de ses employeurs.
Santa Rosa n’a pas toujours été comme maintenant,
un triangle d’un peu plus de 500 hectares au pied de la Cordillère.
Avant les années 70, il n’existait pas de route pour
border le pré, et, dans les environs, il n’y avait que
des colons, voisins de la CTSA.
C’est par le goudron que les limites ont été modifiées
; à cause de ceci et également à cause de plusieurs
champs voisins qui l’entourent, ils ont perdu un morceau de
terrain que s’est approprié la compagnie.
Certains propriétaires, également propriétaires
fonciers, ont entamé des procès, et aujourd’hui,
ils ont un morceau de champs traverse par l’asphalte et qui
vient s’encastré dans les champs que possèdent
Benetton. Mais bien entendu, la reprise ne concerne pas les occupants
les plus humbles, comme Pichon Llancaqueo, eux ils ne peuvent pas
s’offrir les services d’un avocat ou d’un arpenteur,
et donc, ils doivent se résigner à ce que la compagnie
leur prenne un morceau de cette terre ou sont nés leurs ancêtres.
Ces champs grillagés, dont les limites on été modifiées
par l’asphalte font quelques centaines d’hectares, mais
les limites entre les voisins se sont transformées en un polygone
irrégulier, une confession graphique caractérisée,
selon le témoignage du journaliste Hernan Scandizzo, comme étant
une “politique systématique d’appropriation des
terres indigènes”.
Lors de sa déclaration au tribunal, le chroniqueur a raconté comment,
lors de l’enquête que nous avons fait dans la région
en question, on avait découvert d’autres prés
qui avaient subi le même sort que Santa Rosa. Il a parlé,
entre autres, de la Reserva Rayel, de la Laguna Seca et d’une
parcelle de la communauté Vuelta del Rio, toutes ces terres
ayant été clôturées par la CTSA dans la
plus complète illégalité.
Mais si la route a modifié la géographie du lieu,
et si la voracité de la firme multinationale lui a fait dévorer
les terres des Mapuche, en revanche, elle n’a changé en
rien l’abandon du pré qui est aujourd’hui revendiqué.
Tant que l’on se souvienne et jusqu’à ce que la
famille Curiñanco s’y installe en 2002, il n’y
a jamais eu rien d’autre que le vent et le silence.
Le champ maintenant clôturé, raconte Ariel
Yañez lors de son témoignage, a toujours été “pourri
et oxydé”.
Contredisant cette version des faits, l’un des rares témoins à avoir
déclarer que la terre était utilisée par la
CTSA, a été Ronald Mac Donald, administrateur de la
ferme et principal dénonciateur dans cette affaire. Selon
lui, comme étant une preuve agronomique, avant que les Curiñanco
n’occupent le pré, la compagnie avait déjà planté deux
pins dans le terrain en question.
Traduit par Laetitia
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